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NDONDEZA – DECLARATION DU FOCODE n°013/2016 DU 08 Juillet 2016

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Ernest Nimbona Flyer 1 (1)

 

« Les autorités burundaises doivent donner la lumière sur la disparition forcée de Monsieur Ernest NIMBONA et sur l’attaque d’un convoi funéraire par la police nationale le 31 octobre 2015 à Buringa»

Dans le cadre de sa « Campagne NDONDEZA contre les disparitions forcées au Burundi », le FOCODE a reçu des informations sur la disparition forcée d’Ernest NIMBONA, un jeune homme de 29 ans, introuvable depuis l’attaque par la police d’un convoi funéraire dont il faisait partie le 31 octobre 2015 à Buringa en commune Mpanda de la province Bubanza, non loin de l’Aéroport de Bujumbura.

A la différence des dix autres cas déjà publiés par la Campagne NDONDEZA, la disparition forcée d’Ernest NIMBONA est intervenue à la suite d’une attaque armée menée par la police nationale contre un convoi funéraire. C’est une première dans l’histoire du Burundi : même dans les moments les plus sombres de la guerre civile, l’Etat du Burundi n’avait jamais organisé une attaque par balles contre un convoi funéraire. Naturellement, aucune enquête étatique n’a suivi cette attaque, ni par un organe gouvernemental ni par un organe judiciaire encore moins par la Commission Nationale Indépendante des Droits de l’Homme (CNIDH).

Le FOCODE a puisé ces informations auprès des proches de la victime, dans des témoignages de rescapés de l’attaque, dans les reportages radio et divers articles de journaux. Ernest NIMBONA est une des nombreuses autres victimes de l’attaque du convoi funéraire.

A. Identité de la victime

  1. Fils d’Isidore NDAYIZIGAMIYE et  Valérie NIMBONA,  Ernest NIMBONA  est né en 1986 à la 8ème avenue du quartier Gitega de la zone KINAMA en Mairie de Bujumbura où il résidait au moment de sa disparition. Elève finaliste dans une école technique de la zone urbaine de Ngagara, Ernest était connu, aussi bien en famille qu’à l’école, pour son sens de sociabilité et de responsabilité ;
  1. Après les heures de classe, Ernest NIMBONA s’occupait du commerce ambulant de téléphones portables usagers à l’endroit communément appelé BATA, non loin de l’ex-marché central de Bujumbura parti en fumée en janvier 2013. Ce commerce lui permettait de payer les frais de sa scolarité et de  contribuer aux besoins de sa famille ;

B. Appartenance politique de Monsieur Ernest NIMBONA

  1. Les amis d’Ernest NIMBONA affirment qu’il était membre de la branche du Front National de Libération (FNL) dirigée par Agathon RWASA. Toujours révolté contre l’injustice depuis son jeune âge, Ernest était surnommé « CHE GUEVARA » par ses amis, tant de classe que du quartier, qui le qualifient de sage et courageux ;
  1. Un des amis d’Ernest NIMBONA raconte que ce dernier lui avait déjà parlé des menaces dirigées contre lui par les miliciens IMBONERAKURE de la zone Kinama et un certain Jonas du Service National de Renseignement (SNR) qui voulaient le recruter dans leur rang. Notons qu’Ernest avait également fait objet d’arrestation suivie d’une détention arbitraire au SNR en 2014 avant qu’il ne soit libéré grâce  à l’intervention de Pierre Claver MBONIMPA, Président de l’APRODH;

C. Disparition forcée de Monsieur Ernest NIMBONA

  1. D’après des informations recueillies auprès de ses proches, Ernest NIMBONA a quitté sa résidence autour de six heures du matin le samedi 31 octobre 2015 et avait promis de revenir avant onze heures. Inquiets, ses parents ont vainement attendu son retour toute la journée;
  1. Vers seize heures, une personne non identifiée a appelé avec le téléphone d’Ernest NIMBONA un membre de sa famille et lui a demandé de le rejoindre à Buringa, une localité de la Province de Bubanza située près de la réserve de la RUKOKO ;
  2. La personne contactée a demandé s’il pouvait parler directement à Ernest NIMBONA mais l’inconnu a rétorqué « Ernest a été fusillé. Si tu veux le voir, viens à RUKOKO et fais-moi signe dès que tu arrives à Buringa ». Le dimanche matin, les proches ont cherché à joindre de nouveau le téléphone d’Ernest qui malheureusement ne sonnait plus et, depuis lors, plus de nouvelles d’Ernest NIMBONA;
  1. Plus tard, la famille apprendra qu’Ernest aurait été exécuté par les policiers de la Brigade Anti-Emeute (BAE) et des éléments de la milice Imbonerakure après l’attaque d’un convoi funéraire dont il faisait partie ;

D. Une première au Burundi : attaque par balles d’un convoi funéraire par la police

  1. Selon le témoignage de l’un des rescapés diffusé dans le journal du progamme Humura de la radio RPA[1], le samedi 31 octobre 2015 vers 9h30 des jeunes du quartier Ngagara et d’autres quartiers environnants se sont rendus au cimetière de Mpanda pour enterrer un des leurs connu sous le nom de Djibril tué par balles le 27 octobre 2015. Djibril était un jeune manifestant de Ngagara connu pour ses chansons et slogans anti-troisième mandat de Pierre NKURUNZIZA. Le convoi funéraire comprenait une motocyclette, trois voitures (de types Spacio, Probox et Toyota TI) et d’un bus de type Coaster immatriculé B5511A. Une cinquantaine de personnes ont pris part aux funérailles de Djibril dont des membres de la famille du défunt.
  1. Sur le chemin du retour, peu avant midi, le convoi funéraire est tombé dans une embuscade tendu par des éléments de la Brigade Anti-Emeutes[2] conduits par son commandant Désiré UWAMAHORO. Le FOCODE a recueilli le témoignage d’une femme rescapée de cette attaque :

« Devant nous, il y avait une moto avec deux jeunes. Puis suivait une voiture Spacio dans laquelle je me trouvais, ainsi que trois jeunes hommes et Claude le chauffeur. En pleine route à Buringa, un de nous a remarqué des policiers de la Brigade Anti-Emeutes couchés dans les caniveaux et prêts à tirer. Il a crié : madame c’est notre mort ! Aussitôt les tirs ont commencé sur les pneus de notre voiture. Une porte s’est ouverte, un certain “Ndugu” est tombé par terre et moi aussi dans la peur je suis tombé. La voiture a pu continuer sans nous,  mais pas très loin puisque les pneus étaient endommagés. Deux de ses occupants ont pu s’échapper à moto. Ndugu a été exécuté par des policiers devant mes propres yeux, Claude le chauffeur de la voiture a été également exécuté sur place. Derrière nous, le feu a été concentré sur le bus Coaster qui transportait une trentaine de personnes : certains ont sauté par les fenêtres et ont couru vers Maramvya, ne sachant pas que des Imbonerakure les y attendaient de pied ferme. D’autres ont été capturées dans le bus même. J’ai personnellement entendu les cris de ceux qui se faisaient décapiter par des Imbonerakure à Maramvya. De mon côté, j’ai pu me cacher tandis que les policiers s’acharnaient sur le bus. Pour ne pas être trahie par ma tenue, des femmes m’ont offert des pagnes et un fichu pour couvrir ma tête ; rapidement j’étais vêtue comme les femmes commerçantes de la localité et j’ai pu m’échapper à moto. »

  1. Dans un message audio rapidement partagé sur les réseaux sociaux[3], un témoin a confié que l’attaque avait été bien préparée et menée par le Colonel Désiré UWAMAHORO en tenue civile. Selon cette source, des Imbonerakure de Buringa et de Maramvya conduits par un certain « GANGARA » ont été associés pour capturer et exécuter des membres du convoi qui tenteraient de fuir. La même source indique que les blessés soignés au centre de santé de Buringa ont été enlevés par le commissaire provincial de la police à Bubanza Rémégie NZEYIMANA[4] pour une destination inconnue. Au moins six personnes auraient été tirées du centre de santé selon une autre source. La version a été corroborée par d’autres témoignages[5].
  1. Faute d’une enquête indépendante et crédible, le bilan de cette attaque reste inconnu. Selon des media nationaux et internationaux, l’attaque a fait entre 10 et 16 morts[6]. Le porte-parole de la police a par contre reconnu un mort, une douzaine de personnes arrêtées et des armes saisies dans le bus (deux fusils et une grenade), en affirmant en même temps que la police avait répliqué à des tirs provenant du bus[7]. Une version qu’aucun témoin sur place n’a confirmée. Par contre un haut gradé de l’armée a révélé, sous anonymat, la mort de trois personnes[8].
  2. A la suite de cette attaque, des familles ont continué à réclamer les corps des leurs qui demeurent introuvables[9]. Un témoignage recueilli par le FOCODE indique que les victimes de l’attaque ont été « enterrées dans une fosse commune dans un champ de palmier à huile sis à la 13ème transversale de Maramvya ».
  1. Il existe une controverse sur l’identité de la personne enterrée le 31 octobre 2015. Pour la police, il s’agit d’un jeune rwandais nommé Théoneste MUKURARINDA, chef d’un groupe rebelle, abattu par la police la même semaine au cours de l’attaque du Centre Jeunes Kamenge. Pour les rescapés, il s’agit d’un manifestant de Ngagara nommé « Djibril » tué par une balle perdue le 27 octobre 2015.[10]
  2. A la suite de cette attaque, aucun corps de l’Etat n’a mené une enquête pour dégager les responsabilités de ceux qui ont décidé et mené l’opération. Par contre, le ministère public a poursuivi une dizaine de rescapés arrêtés par la police qui croupissent encore en prison à la date de cette déclaration.
  1. Dans son rapport annuel de 2015, la Commission Nationale Indépendante des Droits de l’Homme CNIDH s’est contentée de la version de la police et a évité toute formulation qui mentionnerait la police ou les Imbonerakure dans la disparition des blessés au centre de santé de Buringa :

« Le 31 octobre 2015, à Maramvya, en Commune Mutimbuzi, province de Bujumbura, un affrontement a éclaté entre les forces de l’ordre et des individus armés qui revenaient du cimetière de Mpanda pour l’enterrement clandestin d’un certain Théogène Mukurarinda. Une personne a été tuée sur place, tandis que 7 autres ont été portées disparues après s’être rendues en cachette dans des centres de santé voisins et 12 autres personnes interpellées par les forces de l’ordre. Mukurarinda avait été tué lors d’une attaque perpétrée le 27 octobre 2015 au Centre Jeunes Kamenge, et avait été initialement enterré dans une parcelle à Ngagara. » [11]

  1. Le FOCODE a reçu une confirmation par une rescapée de l’attaque qu’Ernest NIMBONA avait participé à l’enterrement et se trouvait dans le bus Coaster immatriculé

E. Calvaire de la famille après la disparition d’Ernest NIMBONA

  1. Depuis le jour de sa disparition, la famille et les amis d’Ernest NIMBONA l’ont cherché dans les différents cachots de la police et du SNR, mais en vain. Ils l’ont également cherché dans les différents hôpitaux et centres de santé suite aux informations faisant état de plusieurs blessés au cours de l’attaque du cortège funéraire du 31/10/2015, mais sans succès là aussi;
  1. N’ayant pas pu digérer cette disparition forcée de son frère, Bienvenu NININAHAZWE, petit frère d’Ernest âgé de 28 ans, a été victime d’une dépression qui a conduit à son hospitalisation au Centre Neuropsychiatrique de Kamenge (CNPK) pendant deux mois ;
  2. La famille et les amis d’Ernest NIMBONA n’arrivent pas à admettre sa mort et espèrent le retrouver un jour. « Chaque fois qu’il y a alerte et partage d’une photo sur WhatsApp, je me précipite à l’ouvrir en espérant que c’est celle d’Ernest…» a confié son ami d’école. Sa mère vit dans le chagrin et regrette la disparition forcée de son fils qui ne lui a même pas laissé un petit-fils en dehors du mariage. Tous demandent la lumière sur cette disparition forcée et le droit d’enterrer dignement Ernest NIMBONA au cas où il aurait été exécuté.

F. Prise de position et recommandations

Le FOCODE reste vivement préoccupé par l’ampleur du phénomène des disparitions forcées au Burundi. Le cas sous analyse parait unique en son genre dans la mesure où les présumés commanditaires et auteurs de l’attaque d’un cortège funéraire constitué de civils non armés et ayant emporté plusieurs vies humaines sont des hauts gradés de la police en l’occurrence le commissaire Désiré UWAMAHORO commandant de la Brigade Anti-Emeute et Rémégie NZEYIMANA alors commissaire provincial de la police à Bubanza.

Face à cette situation, le FOCODE :

  1. Condamne les crimes innommables commis par la police nationale du Burundi, avec l’appui de la milice Imbonerakure du parti CNDD-FDD, en date du 31 octobre 2015 dans les localités de Buringa et Maramvya en provinces de Bubanza et Bujumbura. Ces crimes sont constitués notamment :
  • d’une attaque délibérée et aveugle d’un convoi funéraire,
  • des arrestations arbitraires, des cas de tortures, des disparitions forcées et des exécutions extra-judiciaires,
  • d’enlèvements de personnes blessées se faisant soigner dans un centre de santé,
  • des enterrements de victimes de l’attaque dans une fosse commune ;
  1. Condamne la règle d’une totale impunité dont continuent à bénéficier les éléments des services de sécurité burundais sous le prétexte d’une lutte contre l’insurrection et demande la traduction en justice des commissaires Désiré UWAMAHORO et Rémégie NZEYIMANA ;
  2. Réitère sa condamnation de la pratique des cachots secrets et du silence des autorités burundaises face aux demandes insistantes des familles burundaises sur le sort des leurs ;
  3. Condamne les rapports complices de la CNIDH et demande l’annulation de son statut A puisqu’elle n’est plus conforme aux principes de Paris sur les institutions nationales de droits de l’homme ;
  4. Demande la mise en place rapide d’une commission d’enquête internationale sur les violations graves de droits de l’homme au Burundi, y compris l’attaque par la police du convoi funéraire en date du 31 octobre 2015 à Buringa ;
  5. Recommande à la Mission d’Experts Indépendants sur le Burundi (UNIIB) d’accorder une attention particulière à l’attaque du convoi funéraire du 31 octobre 2015 et au Conseil des Droits de l’Homme de décider, dans sa prochaine session, la nomination d’un Expert Indépendant sur le Burundi qui continuera à suivre la situation des droits de l’homme au Burundi après la présentation du rapport des experts.

Fait à Bujumbura, le 07 Juillet 2016

Pour le FOCODE ;

Sé Pacifique NININAHAZWE

 Président

[1] https://www.ipadio.com/broadcasts/RadioBUJUMBURA_Inter/2015/10/31/RPA-HUMURA-Burundi-du-31102015

[2] BAE : une structure spécialisée de la police burundaise créée à la fin de septembre 2015 et commandée par le Colonel Désiré UWAMAHORO cité dans plusieurs dossiers de torture et d’exécutions extrajudiciaires, condamné pour torture en 2007 par le Tribunal de Grande Instance de Muramvya mais qui n’a jamais purgé sa peine.

[3] https://soundcloud.com/pnininahazwe/t-moignage-buringa-attaque

[4] Le commissaire Rémégie Nzeyimana a été cité dans beaucoup des cas de torture ou d’exécutions extra-judiciaires en province de Bubanza depuis plusieurs années.

[5] https://www.facebook.com/sosmediasburundi/posts/1000329980029041:0

[6] http://www.jeuneafrique.com/depeches/276143/politique/burundi-la-police-tire-sur-un-bus-faisant-entre-un-et-16-morts-selon-les-sources/ ; http://www.rfi.fr/afrique/20151031-burundi-bus-pris-cible-police

[7] Idem ; https://www.facebook.com/sosmediasburundi/posts/998636693531703

[8] Idem

[9] https://www.facebook.com/sosmediasburundi/posts/999057750156264

[10] https://www.facebook.com/sosmediasburundi/posts/998636693531703

[11] http://www.cnidh.bi/sites/default/files/CNIDH_Rapport%20annuel%202015%20.pdf , P.59


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